Nouveau souffle pour trames de lux(e) Une rencontre artistique entre la maison Bucol et l’ENSATT

L'upcycling, démarche hautement contemporaine et rendue nécessaire dans un monde fini, est investi de plus en plus largement par les secteurs de la mode et du costume de scène. Par la contrainte artistique qu’il impose, il donne naissance à des productions textiles tout à la fois imprévisibles et composites liant, dans leur matérialité même, discours esthétique et posture politique écoresponsable.

En guidant le geste artistique, l’upcycling inscrit les pièces vestimentaires dans une temporalité continue, rejetant l’éphémérité des modes pour affirmer la nécessité éthique du recyclage. Plus qu’une tendance, cette écoconception ressuscite et renouvelle des pratiques ancestrales et oubliées, dont le costume de scène est l’un des séculaires chantres.

L’art costumier est en effet déjà celui du réemploi, de la transformation, de la recréation, de la citation et de la référence. Du « rond » de la cour du Duché de Lorraine au XVIe siècle, qui contenait les costumes des bals parés des têtes couronnées, et tout ce qu’ils comportaient de décorum, aux stocks actuels des théâtres et des Opéras, cet art dramaturgique a puisé et puise encore dans l’existant pour penser la nouveauté. Mais encore, il est l’écho d’héritages historiques et culturels variés et un pont entre des gloires passées de la mode et des modernités à représenter. Il est enfin un lien entre les espaces de conservation et les espaces de narration, l’éclat des chairs passées et présentes.

Portée par la force d’évocation des tissus d’exception de la maison Bucol, la création costumière de l’ENSATT entre ici en résonnance avec les archétypes historiques de la galerie des costumes du Musée des Tissus de Lyon et donne naissance à des silhouettes parfois traditionnelles, parfois atypiques, et dans tous les cas actuelles. La créativité des étudiant-e-s en conception et au sein de l’atelier costume est stimulée et challengée par l’expertise des artisans de la maison de soierie alors qu’ils et elles s’approprient le choix imposé, et nécessairement métriquement limité, d’étoffes retirées des circuits.

Le dialogue des temporalités se démultiplie ici, entre une création textile qui puise dans ses archives l’impulsion artistique des étoffes de demain, les ressources patrimoniales et originales qui constituent l'indispensable

généalogie vestimentaire, et une production costumière qui joue de la fusion des influences selon un l’équilibre sensible et travaillé.

A la faveur de ces étoffes d’une qualité incomparable, impressions-chaine et lamé bleuté, les robes XVIIIe présentées tutoient la splendeur des collections de haute couture et restituent, si ce n’est dépassent, l’aura de leurs modèles historiques.

L’inventivité suscitée par les lampas, taffetas, brocarts et façonnés d’exception se déploie aussi sous la forme de héros sans nom, de contes imaginaires encore à écrire, croisant les inspirations les plus éclectiques et les sources historiques les plus pointues. Se rencontrent ainsi la porteuse d’un kimono impérial surmontant un vertugadin élisabéthain, un mystérieux marcheur à la silhouette Louis XIII, nimbé de la lumière colorée des peuples nomades, ou encore le représentant d'un Sumer fantasmé, drapé dans des étoffes aux applications animistes.

Enfin, les divas extravagantes et déglinguées du Cabaret de Louis Arène, monté en octobre 2022, sont magnifiées par les mordorés et les puissantes couleurs textiles de la maison Bucol, amplifiant par le détail une crinoline faussement naïve, ou devenant la sève d’un manteau de cour d’inspiration Empire, aux mille et éclatantes écailles.

Les oeuvres ici présentées célèbrent les possibles et les promesses d’une démarche créative guidée par l’économie du recyclage, tout en mettant à l’honneur les inspirantes connivences entre l’industrie textile, les musées et la scène. Elles font la démonstration de l’interdépendance entre les possibles de la matière, et son potentiel d’inspiration, l’accès aux sources primaires, permise par la conservation et la diffusion du patrimoine textile, et le plaisir de la représentation sous les feux de la rampe, en acte et parole, portés par une jeunesse assoiffée d’expérimentations.

En voulant mettre en lumière la métamorphose d’une matière textile passée des spotlights des podiums aux lumières de la scène, le partenariat inédit du Musée des Tissus, de l’ENSATT, de la Fondation Bullukian et de Bucol, s’est trouvé animé par l’idéal de conter un présent plein d’espoir, magnifiquement évoqué par la mise en valeur de ces tissus de luxe et la puissance narrative des costumes qui leur donne un nouveau souffle.